Souvenirs des planches

 

« Les cercles parallèles » de Georges Bernay

Texte de Laura Santos Vargas « ELLE »

 

Ce soir, tu me quittes. C’est étrange car cela ne fait que quelques heures et pourtant je peux encore te sentir en moi. J’entends encore tes mots portés par ma voix comme un écho qui fuit dans la nuit. Nous avons été inséparables durant ces derniers mois et aujourd’hui vient l’heure de nous quitter. Nous nous croiserons un jour peut-être et ce jour-là, tu auras changé. Tu seras blonde à la voix rocailleuse ou rousse à la voix fatiguée par la vie, mais peu importe le corps que tu investiras, nous nous reconnaîtrons l’une l’autre et un sourire se dessinera sur mes lèvres. Je penserai sans doute que la comédienne ne sera pas à la hauteur. Ne vois pas ceci comme de l’orgueil mal placé de ma part mais plutôt comme la nostalgie qui m’habite depuis que tu es partie.

Toi, je t’ai aimée tu sais ? Je t’ai espérée, je t’ai désirée, je t’ai demandée et finalement je t’ai apprivoisée. Nous étions un. Toi, le personnage dont on ne sait rien mais dont on devine tout et moi, bien vivante, avec mes rêves, mes espoirs, mes déchirures. A deux, nous étions elle et elle était nous. Avec ta douceur, tu as pu sculpter l’écorce qui m’entourait, tu l’as polie, tu lui as donné forme et tu en as fait un talisman que je porterai toujours.

De ce voyage, je reste avec l’émotion de la SDF et de son masque blanc, de l’enthousiasme de la femme de ménage et de son argonaute, de la jeune fille taquine et ses amours de cimetière, de la bienveillance de la cheffe de gare et du regard intense du voyageur au cœur brisé. Dans mes pensées et dans mon cœur, je garde aussi l’homme assis dans l’ombre, celui qui écoute et entend, qui regarde et qui voit, qui guide sans mener, qui ne parle pas mais qui murmure. Tu as été un « Peter Pan ». Tu m’as fait voler jusqu’à ce quai de gare et même si je connaissais le déroulement de l’histoire, je me suis laissé emporter dans un tourbillon d’émotions et de rêves. Maintenant, je suis arrivée à destination. Je descends lentement de mon wagon, et pendant que mon regard suit le train qui s’éloigne sur les voies parallèles de la vie, une larme coule le long de ma joue et finit son chemin sur le coin de ma bouche qui sourit, car je sais que les voies se rejoindront à l’horizon.

De boîtes en boîtes

Texte de Véronique Bejaer

 

La vie d’une troupe de théâtre, ce n’est pas uniquement lumières, glamour et applaudissements… c’est aussi beaucoup de préparation en amont, beaucoup de stress au fur et à mesure que la date fatidique de la première approche et quelques tâches ardues mais ô combien nécessaires pour la réussite d’un spectacle.

L’une de ces tâches, et probablement la plus ingrate (surtout en hiver), c’est la distribution toutes boîtes des prospectus annonçant l’un de nos spectacles. Heureusement, nous disposons pour ce faire d’une équipe bien rodée (on part en duo ou en trio mais, avec le temps nous avons constaté qu’on finit toujours par faire la distribution avec le/la même); d’un plan de bataille (le quadrillage des rues préparé et imprimé par notre Présidente Marylin) et même depuis quelques années d’une stratégie à toute épreuve (la mise à contribution des mini-baladeurs qu’on « achète » avec la promesse d’un chocolat chaud à la fin du dur labeur… oui, le travail des enfants, ça existe aussi en Belgique mais n’allez pas nous dénoncer, elles et ils sont les premiers à vouloir venir nous aider ^^).

Mais pourquoi donc est-ce une tâche ? Et bien parce que sur Jette et Koekelberg (et peut-être ailleurs aussi mais nous n’avons pas encore vérifié), nos concitoyens font des efforts inouïs pour disposer de boîtes aux lettres… disons… imaginatives.

Il y a la classique qui ne s’ouvre qu’après moults efforts et en grinçant tellement qu’elle évoque plus une alarme qu’une boîte aux lettres; celle qui déborde tellement que glisser un énième papier renvoie le jeu du mikado à un amusement de maternelle; celle au ras du sol qui vous oblige à faire un squat en bonne et due forme (ou à utiliser l’enfant que vous avez sous la main) ou, a contrario, celle placée tellement haut que le facteur doit avoir une élongation de l’épaule et du bras au bout de la semaine.

Citons encore l’invisible – vous avez beau chercher en long, en large et en diagonale, vous n’arrivez pas à voir où elle se cache; la déglinguée – qui ne tient que par miracle… et encore; la béante – pas de boîte derrière, juste le sol et au moindre coup de vent, le courrier qui se fait la malle ou encore la timide qui ne s’ouvre sans doute que le 5ème jeudi du mois, quand il ne se termine toutefois pas en « re » (mais en tout cas, jamais quand vous y passez).

Et puis… et puis… il y a la championne du monde: la boîte aux lettres poilue ! Oui, oui, vous lisez bien. Il s’agit d’une boîte aux lettres dont l’ouverture a été garnie d’une sorte de grosse brosse double et passablement poussiéreuse. On y glisse la main à ses risques et périls, tout en se demandant s’il n’y a pas derrière quelqu’un prêt à vous mordre ou vous refiler une bactérie dernier cri.

Bref, on ne le répètera jamais assez: c’est dur la vie d’artiste !